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samedi 27 septembre 2014

Merci Alexandre !


Il s'appelle Alexandre Carret, 
il enseigne au collège Perrot d'Ablancourt, à Chalons-en-Champagne.
Je ne le connais pas, mais nous appartenons à la même liste de discussions, et je voudrais reproduire ici, naturellement avec son autorisation, l'essentiel de son dernier message.

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Je viens de vivre un moment fort avec mes deux classes de 5ème :
le but était d'approfondir deux théorèmes dont nous avions déjà un petit peu parlé.

Théorème 1 : (dessin classique - deux droites d1 et d2 ; a et b, deux angles alternes-internes définis par ces deux droites et une sécante).
Si d1 et d2 sont parallèles alors  a et b ont la même mesure.

Là, je rappelle : « tout théorème, pour avoir le droit à cette appellation, doit être démontré ».
Et j'écris donc :

preuve : nous admettrons ce théorème sans preuve.   :) :) :)

Tollé ! discussion sur ce qu'est une preuve : « un million de dessins mesurés ne font pas une preuve en mathématiques ».
Le doute s'installe chez les élèves :
« et si ce théorème était faux ? »
« C'est possible », dis-je , « voyons la suite » !
Et nous passons au deuxième théorème…

Théorème 2 : (dessin d'un triangle)
Dans un triangle, la somme des mesures des angles est égale à 180°.

Preuve : je trace un schéma à main levée, donnant la configuration, et je dis :

« je vais vous démontrer ce théorème sans vraiment dessiner un triangle, sans connaître la valeur de ses angles, sans mesurer, etc. Juste avec la puissance de l'esprit. »

« Soit ABC, un triangle. Traçons la parallèle à (AB) passant par C. D'après le théorème précédent », patati patata.

La preuve les épate. C'est vrai qu'elle est épatante !

« Mais alors si le théorème précédent est faux, cette preuve s'écroule ! »

« Oui, mais maintenant que vous avez compris qu'on ne peut démontrer un théorème qu'en s'appuyant sur un autre théorème, vous voyez le problème : j'aurais peut-être pu vous donner la preuve du théorème précédent mais seulement en m'appuyant sur un autre théorème ».

La discussion s'est alors emballée en considérations de tous ordres :

« Mais alors, il faut faire une confiance aveugle au premier théorème ! »
« Non. Pas une confiance aveugle. Plutôt se dire : Supposons que ce premier théorème est vrai, que peut-on construire avec ? Et je vous promets que l'aventure est merveilleuse. »

« Mais alors, la géométrie, ça n'existe pas ! »
« Non, ça n'existe pas ! Ce sont des idées que nous manipulons avec l'esprit ! MAIS ces idées se nourrissent du réel. L'idée du cercle est inspirée des observations du réel en même temps qu'elle est indispensable pour approcher le mouvement des planètes. Il est donc important d'étudier l'idée du cercle. Et c'est le rôle de la géométrie. »

Ici, je leur ai lu la citation de Galilée au-dessus de mon bureau :

Galilée, dans L'Essayeur (1623):

« La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre un mot. Dépourvu de ces moyens, on erre vainement dans un labyrinthe obscur. »

La discussion a duré encore un bon moment et j'ai bon espoir qu'elle ait semé des petits bouts de mathématiques dans certaines têtes.
A suivre ...

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C'est tellement comme ça que je conçois la géométrie, c'est tellement comme ça que je conçois les dialogues avec mes élèves que j'avais envie d'applaudir.

C'est dans cet esprit, c'est pour servir de référence dans ce genre de discussion que j'ai écrit «... Donc, d'après... ». Pour qu'il prenne l'idée à des élèves un peu titillés par un professeur comme Alexandre d'aller chercher ce livre au CDI, d'y remonter l'arborescence, la construction d'un théorème. Oh, un seul ! Ce serait déjà fantastique.


(Pour la petite histoire, après avoir lu ce message, j'ai voulu « déconstruire » son « théorème numéro 2 », dans l'axiomatique de «... Donc, d'après... »
- comme je l'ai fait dans un article récent pour le théorème de Pythagore

dans mon livre, le théorème sur la somme des mesures des angles d'un triangle est le théorème T-35 … Comme il s'agit d'un petit numéro, je me suis dit que ça allait aller très vite. Eh bien, pas du tout !
T-35 s'appuie sur   M-8   et   T-29
T-29 s'appuie sur   T-15, T-18 , T-23 , T-24 , M-8 à nouveau et D-69.
T-24 s'appuie sur   T-15 , T-17 , T-23 , M-8 et M-9
T-23 s'appuie sur   T-15 et D-69
T-18 s'appuie sur   T-10 , T-13 , T-14 , T-15 , T-16 , M-13 et D-51
T-17 s'appuie sur   T-4 , T-16 et D-14
T-16 s'appuie sur   T-1 , T-15 , M-2 et M-3
T-15 s’appuie sur   T-14
T-14 s'appuie sur   T-11 et T-13
T-13 s'appuie sur   T-11 et D-5
T-11 s'appuie sur   T-8 et T-10
T-10 s'appuie sur   T-9 , M-15 et D-69
T-9   s'appuie sur   M-3, des théorèmes numériques et D-57
T-8   s'appuie sur   M-10 et M-11
T-4   s'appuie sur   M-3 et D-14
T-1   s'appuie sur   M-1             … Ouf ! )


Naturellement, il est clair que remonter l'arborescence de T-35 jusqu'aux « métaxiomes » n'est pas du tout dans l'esprit de l'enseignement de la géométrie en cinquième...
Et heureusement !

Il est clair également qu’Alexandre, à juste titre, ne l'a pas tenté. Mais il en a fait découvrir l'existence, et ça, non seulement ça me paraît accessible à des élèves de cinquième, non seulement ça les fait réagir, ça les « interpelle », mais ça me semble fondamental.

Alors, encore une fois, merci Alexandre !

Et merci à vous tous de suivre ce blog comme vous le faites.

Un rappel (c'est la dernière fois, promis) :
si vous ne l'avez pas encore fait, rendez-vous sur

Et...VOTEZ ! Il ne reste que trois jours.

A bientôt,

Philippe Colliard

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